L'AN 1792.

Le 7 juin, jour de la Fête-Dieu, la procession générale commença à sortir à quatre heures précises. Le bœuf et le boucher y assistèrent. Le matin de ce jour à jamais mémorable, la confrérie, dite de la Trinité Vieille, se rendit, comme de coutume, à l'antique chapelle de Notre-Dame de la Garde, pour en descendre processionnellement la Statue. Elle n'avait pas encore atteint le bas de la colline, devant la porte qui était alors à l'embranchement du cours Bonaparte et de la rue Fort-Notre-Dame, qu'une horde de barbares forcenés assaillit le cortège de la Vierge. Les pénitents furent insultés ; des projectiles leur furent lancés ; mais ils demeurèrent inflexibles et impassibles devant une agression aussi brutale que celle-là. La sainteté de la cérémonie ne permettant pas d'en agir autrement, ils continuèrent leur marche, mais sans encombre, jusqu'à l'endroit ordinaire où l'on faisait faire une halte à la statue de la Vierge Marie. Ce ne fut qu'en courant un grand nombre de dangers, que l'on parvint à placer la statue dans la rue Vierge-de-la-Garde. Le nom de rue Vierge-de-la-Garde lui vient de ce que, chaque année, on faisait reposer la statue dans une maison de cette rue. Le nom primitif fut remplacé par celui de Vierge-de-la-Garde. Le lendemain, les Pénitents remontèrent la statue dans son sanctuaire ; mais cette fois la procession était escortée par un double rang de gardes nationaux et de troupe de ligne ; mais, par une profanation qui ne s'explique que par les jours mauvais que la France traversait alors, l'Enfant Jésus fut coiffé d'un bonnet rouge et la statue de la Vierge Marie avait une écharpe tricolore à la ceinture. Ce ne fut qu'avec une profonde tristesse que les Pénitents gravirent la colline, ne voulant pas déposer la Statue dans son sanctuaire, revêtue d'un costume si bizarre et si dérisoire à la fois. Leurs chants, ordinairement joyeux, étaient tristes et mélancoliques ; qu'aurait dit le chant du cygne pleurant son trépas ; la dernière heure allait d'un moment à l'autre sonner pour cette Confrérie, aussi bien que pour toutes les institutions religieuses. De là, le retour dans le sanctuaire fut-il morne et silencieux ; tous s'embrassaient, les larmes aux yeux ; car, pour le plus grand nombre, c'était pour la dernière fois qu'ils gravissaient la colline.

Aux jours orageux de la Révolution, ce trésor consacré par tant d'hommages et de vœux fut vendu aux Génois. La chapelle fut, fermée, et les fidèles, cédant à la force et à la terreur, ne pouvaient que gémir en saluant de loin le sanctuaire vénéré, où tant de consolations étaient descendues du ciel soit sur eux, soit sur leurs pères. Ce qui occasionna cette cruelle épreuve, fut le choc des discordes civiles. La tourmente révolutionnaire qui fit fermer tous les temples consacrés au culte religieux, n'épargna pas non plus le sanctuaire.

 

Archives du diocèse de Marseille : Notice du Sanctuaire de N.D.G. Depuis l'an 600 jusqu'à nos jours