La
vierge Marie n’a pas de couronne. Au milieu des années 1800,
à l’époque de l’édification de la basilique,
on y pense. Mais quand faire un tel évènement ? Dans les
années 70, il y a la guerre. Un peu plus tard, ce sont les fêtes
de la basilique, puis celles de la cathédrale de la Major. Puis,
c’est à nouveau la guerre. Il faut encore attendre.
Avec la venue de Mgr Dubourg à Marseille,
l’idée prend corps. Les fêtes sont fixées à
la fin juin 1931.
Samedi 13, aux dernières heures du jour
L’église Saint Vincent de Paul
est vraiment trop petite. Depuis la fin d’après midi, les
gens se pressent à l’intérieur. Dehors il fait chaud,
mais l’intérieur est torride. Mgr Dubourg parle de Marseille,
de Marie, de la colline, des marins qui partent en mer dont certains ne
reviennent pas, des voyageurs qui partent si loin, pour chacun, c’est
une montée vers la vierge Marie, du premier et du dernier sourire
de la France. Et aussi le pape Pie XI qui a voulu honorer Marseille en
accordant la faveur du couronnement. Dans les rues, le programme des fêtes,
bleu et blanc, aux couleurs de Marseille mais aussi de Marie, est proposé
par des vendeuses. |
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Les
14, 15, 16 et 17 juin
C’est le révérant père Bellouard qui s’attache
à expliquer aux nombreux fidèles le culte catholique et
particulièrement celui de Marie, depuis le concile d’Ephèse,
il y a tout juste mille cinq cents ans. - Sancta Maria, Mater Dei –
Jeudi 18 juin
Le mistral souffle en tempête depuis
le matin. Les oriflammes bleus et blancs claquent sur le chemin de la
colline. Face à l’entrée du port, les tentures de
l’autel improvisé pour la grande fête, se gonflent
et font trembler la structure. C’est le premier jour des cérémonies
extérieures.
C’est la journée des enfants.
Ils montent dés le matin sur la colline, bravant le mistral,
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habillés en bleu et blanc. Une messe de communion est
célébrée par l’évêque de Marseille,
Mgr Dubourg, avec les chœurs des « enfants de
Marie ». Peu après, c’est la messe pontificale célébrée
par Mgr Saint Pierre. La messe terminée, tous les enfants redescendent
la colline en de longues vagues ondulantes.
Le soir, à 19 H, le R.P. Bellouard,
bravant le mistral, chante les louanges de la vierge Marie. Sa voix, amplifiée
par les hauts parleurs, coule sur les rochers, et la foule massée
sur les pentes écoute et vibre dans le vent.
Vendredi 19 juin
Le mistral s’est calmé. C’est
la journée des mères. Le matin, messe de communion. Puis
Mgr Rodié, évêque d’Ajaccio, célèbre
une messe solennelle, la messe de Notre Dame de Lourdes. A 17 heures,
à la cathédrale de la major, c'est l'accueil du cardinal
Maurin Légat du pape. et son allocution 
Ce soir, c’est le R.P. Pinard de la
Boullaye qui officie sur la chaire. Le thème est celui du concile
d’Ephèse : Santa Maria, Mater Dei. Quel lieu peut-il être
mieux choisi que cette colline ? La foule est devenue immense. Elle communie
entièrement avec le R. P.
Au coucher du soleil, « c’est
pour le salut du saint sacrement, l’ostensoir qui s’élève
entre les mains d’un prélat, soleil surnaturel par-dessus
tous les soleils visibles, et sous sa bénédiction, la foule
s’agenouille ou s’incline aux pentes de la colline.
»
Samedi 20 juin
Dés sept heures du matin, Mgr Siméone,
évêque de Fréjus, célèbre la messe de
communion. A 9 heures, c'est une procession de jeunes filles sur la colline
(enfants de Marie, Noëlistes, bérets roses, jeunes de la
ligue,
guides, etc...) Puis, c’est Mgr Llobet, archevêque d’Avignon,
qui célèbre la messe pontificale, en grégorien. Marseille
rend hommage à sa Vierge Marie.
A 17 heures, la vierge arrive à St
Victor. Mgr Siméone, évêque de Fréjus et Toulon donne une allocution .
Puis, la statue est conduite à la cathédrale de la Major.
Ce soir, il n’y a pas de sermon, mais
un concert spirituel. « « Triomphe ! Victoire
! » proclame le cantique français, primé et adopté
pour ces fêtes, « Bello Reino dou Meijour.. » réplique
le cantique provençal, qu’un chanoine d’Arles a composé
; à ces accents provençaux répond fraternellement
l’Aloysia de Mulhouse ; et puis se déroulent, liturgiques,
le Magnificat et l’Ave Maria Stella. Toute la colline chante ; ce
soir le ciel s’est voilé de brume ; le soleil invisible dans
les cieux illumine cependant la mer, qui luit sous les feux du couchant.
Ainsi, Dieu, que nos regards ne peuvent découvrir, se reflète
dans les âmes où il devient perceptible. En trois soirées,
successivement, ce ciel de Provence que l’on croit trop aisément
monotone dans sa splendeur, nous a donné trois visions inoubliables
: l’Evangile dans la tempête, le sermon sur la montagne, le
soleil aperçu dans les flots, trois symboles de la vie spirituelle.
» |
sur les
quais de la Joliette. Le Citis va transporter la vierge sur les flots. Elle
est décorée des drapeaux épiscopaux et porte à
sa proue un ange qui souffle dans une trompette. Le haut clergé embarque
sur l’Obstiné, les prêtres sur d’autres navires.
Et toute une flotte de bateaux escorte la vierge sur la mer. Le Citis navigue
maintenant vers Endoume. C’est la bénédiction des morts
pour la patrie en orient.
Puis le retour. Combien
sont-ils, ces Marseillais fervents, sur la Corniche, sur les pentes du Pharo,
ou massés autour du vieux port. Cent mille?
Il est midi, et le bourdon
de Notre Dame de la Garde sonne. Aussitôt, toutes
les cloches des églises de la ville le suivent. La vierge Marie débarque
sur le quai de Rive Neuve, puis elle monte par les petites rues, passe devant
l’abbaye de Saint Victor, le Bd de la Corderie, le Bd Vauban jusqu’à
la basilique. Combien de temps a-t-il fallu ? Combien de monde encore sur le
trajet, et combien sur la colline ? Il y tant de monde, qu’on ne peut
« ni s’asseoir, ni remuer
».
Il faut bien satisfaire
les corps, et un repas frugal est pris.
Vers quatorze heures,
c’est Mgr Gerlier, évêque de Tarbes qui commence son sermon ,
et toute la foule, silencieuse, écoute religieusement ses paroles. La
vierge est sur l’estrade. Un peu plus tard, quelques gouttes de pluie
font éclore des parapluies. Mais il ne vient à l’idée
de personne de quitter la cérémonie. Et puis l’averse ne
dure pas, et le ciel bleu, aux couleurs de Marie revient. Mgr termine son sermon
et c’est alors l’évêque de Marseille, Mgr Dubourg qui
commence le sien , consacrant Marseille à la Vierge Marie, remerciant
tous ses collaborateurs, puis demandant à la foule de réciter
le « De Profondis
» en mémoire des morts en mer. C’est l’heure de la
bénédiction. Mais l’enchantement est toujours là.
Et personne ne pense seulement à redescendre vers la ville. Le soleil
s’abîme dans les flots, et il faut que l’évêque,
après une nouvelle prière implore la foule de redescendre la colline.
Ce soir, il y aura un feu d’artifice qui sera tiré de la vierge. |
«
Le couronnement de Notre Dame de la Garde a rendu vie et couleur au passé
de Marseille en même temps qu'il a doré d'idéal son
présent et qu'il l'a sanctifié.
Sublime synthèse des temps accomplis, la Vierge couronnée
au matin inoubliable du 21 juin 1931 assure l'avenir de la cité
par les germes de prospérité matérielle et morale
qu'elle y sème à pleines mains.
Les synthèses historiques ne s'adressent d'ordinaire qu'à
l'esprit par ce qu'une fois sorties du cerveau des historiens, le mouvement
et la vie leur font défaut, et c'est la cause de leur stérilité.
Avec les fêtes du Couronnement de Notre Dame de la Garde, l'inverse
s'est produit : vivantes sans doute chez l'évêque aux
grandes initiatives qu'est Mgr Dubourg, puisque conçues, aimées,
voulues par lui, ces fêtes ont pris néanmoins en s'extériorisant,
un tel développement de vie que leur auteur s'est senti dominé,
emporté par elles. Lui leur père en recevait infiniment
plus de vie qu'il ne leur en avait donné. Voilà pourquoi
son recueillement admiratif revêtait une humilité particulièrement
touchante. Et ce double sentiment était partagé par
ses principaux collaborateurs, Mgr. Borel, recteur de la Basilique
depuis 1911, les chanoines Audibert et Grenouillet, par l'abbé Rastouil
et par tant de prêtres et de laïcs dont l'activité s'était
dépensée sans mesure. La préparation
longue et sérieuse
des fêtes, leur programme méthodique et complet ne furent
cependant rien en comparaison de la journée triomphale du 21
juin 1931. Comment expliquer disproportion si manifeste entre la cause
et l'effet ? Par l'entrée en jeu d'un facteur indépendant
de toute volonté humaine, l'âme de Marseille. Pour les
cinq cent mille hommes qui ont assisté au triomphe et qui l'ont,
pour ainsi dire, vécu, cette âme n'a pas été seulement
un symbole ou l'expression fulgurante d'une idée, mais une réalité
sentie par tous à des degrés divers, une réalité
visible et tangible puisqu'elle avait pris corps dans la statue d'argent
de Notre Dame devenue le centre d'attraction vers lequel convergeait
toute la vie de la terre, des airs et de la mer. Personne ne voyait
rien autre, personne n'aimait ni ne voulait rien autre ! Chacun participant à
l'émotion de tous sentait qu'il se passait là quelque chose
dont la douceur ineffable égalait la force. C'était la
rencontre et la fusion du passé de Marseille et de son présent.
Tout ce qu'avait dépensé notre ville, depuis sa fondation,
en fait d'intelligence, d'énergie et d'activité s'y trouvait
avec toutes ses initiatives actuelles et futures. »
Chanoine Arnaud D'Agnel
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